mercredi 7 juillet 2010

Forum social européen 01-04 juillet 2010 (1)

La première question qu'on pourrait légitiment se poser, c'est: « C'est quoi un forum social? ». Alors tout a commencé en 2001 à Porto Alegre, au Brésil, où s'est tenu le premier forum social mondial. L'objectif de ce forum: réunir des mouvements sociaux de toute la planète pour faire converger leurs luttes et s'opposer à la mondialisation néo-libérale. Ensuite, chaque année puis tous les deux ans à partir de 2007 ont été organisés d'autres forums mondiaux, avant que des forums locaux ne voient le jour, comme à Florence pour le premier FSE en 2002, ainsi que des forums thématiques. Le leitmotiv, ayant donné son nom au mouvement, est qu'un autre monde (entendez une autre mondialisation) est possible. Souvent montré comme un mouvement protestataire incohérent, j'espère que les lignes suivantes permettront de comprendre que, si le mouvement est en difficulté, il n'en a pas moins toute sa raison d'être, et ne mérite pas tous les clichés qu'on peut en avoir à travers les médias. Il s'agit bien sûr de mon point de vue, de l'intérieur du forum, en mêlant récit et analyse.

Mardi 29 juin
Arrivé à Istanbul le lundi 28 juin, j'ai pu récupérer quelque peu du voyage, profitant de l'hébergement de Rabia, une surfeuse de divan comme moi. Mardi après-midi, je me suis dirigé vers l'université technique d'Istanbul, à Matchka, seule information dont je disposais pour l'inscription au forum. Arrivé là-bas, personne n'était au courant qu'un forum allait se tenir, et c'est grâce au dévouement d'une chercheuse ingénieur que j'ai pu rencontrer le directeur du lieu, qui n'en savait pas beaucoup plus. Cependant, j'ai pu partager mon désarroi avec un couple venu d'Ukraine, Masha et Martin. Martin est en fait un altermondialiste convaincu, qui n'en est pas à son coup d'essai. Par cette rencontre, on s'est senti un peu moins seuls et Martin m'a même invité à partager un repas végétarien devant un magasin bio d'Istanbul, en discutant navigation. C'est ainsi que j'ai appris que les programmes spatiaux européens financent le transport maritime de camembert dans les Antilles. Personnalité éclectique au parcours totalement atypique, Martin est notamment diplômé de l'université de Kassel-Witzenhausen au centre de l'Allemagne. L'histoire de cette école vaut le détour puisqu'elle comporte une faculté d'agriculture écologique, fruit d'une bataille estudiantine incroyable en 1992, tracteurs et bestiaux à l'appui. Au lieu de continuer sur une vision capitaliste de l'écologie (Green is green : l'écologie est verte par la couleur du dollar), les étudiants ont obtenu un programme pluridisciplinaire et une méthode d'enseignement dynamique. Vous pourrez trouver facilement plus d'infos sur internet.

Mercredi 30 juin
Si le début officiel du forum était fixé au premier juillet, le 30 juin ouvrait le bal par des discours et des concerts, et l'arrivée massive d'étrangers, parallèlement au montage de tentes et podium par les organisateurs turcs, permirent de passer de l'anonymat de la veille à l'allure d'un petit festival d'été. Ce fut ma rencontre avec les Russes, venus en groupe défendre leurs vues communistes, et mes retrouvailles avec Samir, activiste Togolais amateur de ficelles, lui aussi (comment je vais traduire ça en anglais? ;-)). Avant de s'endormir dans le gymnase apprêté pour l'occasion, Vladimir, ancien espion en télécommunications, proposa un petit rituel autour d'un verre de vodka, chacun faisant un petit speech de ses attentes du meeting avant d'avaler une quantité très raisonnable du célèbre breuvage.

Jeudi 1er juillet
Sur le programme reçu la veille, j'avais épinglé plusieurs ateliers. D'une durée de trois heures chacun(!), la journée comportait trois sessions avec, à chaque fois, une multitude de choix possibles, dans les différentes thématiques du forum. Malheureusement, la place laissée à l'alimentation et l'agriculture était très maigre, la souveraineté alimentaire n'étant qu'un sous-point de la thématique développement durable, et seuls deux petits séminaires y étaient consacrés, dont un l'après midi. Avant, je choisis d'écouter qui allait se dire au sujet du forum social européen.

What future for the ESF and the european social movements facing the global crisis?
Pas mal comme entrée en matière, surtout que le discours dominant était que le forum est en crise, n'arrivant pas à évoluer, perdant à chaque fois des participants (de 50 000 à Florence à 3000 ici à Istanbul), et reflétant les problèmes de la société civile à répondre aux crises que nous vivons. Ces crises sont nombreuses, mais le système capitaliste, lui, va bien, comme l'ont rappelé des intervenants. Si tout le monde s'accordait pour dire que le forum était nécessaire, étant un des seuls lieux réunissant syndicats, mouvements citoyens et penseurs de gauche au niveau européen, personne ne semblait avoir de solution réelle à proposer. C'est peut-être ce qui manque le plus à l'heure actuelle, une utopie fédératrice, un horizon qui permette à chacun d'entrer dans l'action, ou de rattacher son action à un mouvement d'ensemble. Face aux symboles et à la machine de propagande du modèle dominant, le monde alternatif est apparu en effet, en tout cas lors de cette séance, en recherche de sens. D'où à mon avis un besoin d'aller au bout de la réflexion théorique, afin de remettre en cause les bases du système, plutôt que de penser en-dedans, comme semblaient encore le faire beaucoup d'intervenants. Une proposition du CADTM (comité pour l'annulation de la dette du Tiers Monde) allait dans ce sens, en disant que la notion de croissance, véritable moteur de notre système devrait sans doute être combattue par un slogan plus fort que « un autre monde est possible », comme par exemple le « bien vivir » (« vivre bien ») utilisé lors du sommet de la terre à Cochabamba en avril 2010. A la fin des interventions, très nombreuses et majoritairement latines, intervint quelqu'un qui me plût beaucoup. Il parla de l'absence quasi-totale des paysans, dont on devrait beaucoup plus parler. Il s'avéra que ce serait l'orateur principal du séminaire suivant auquel je voulais assister, et je l'accompagnai jusque là, en discutant circuits courts d'alimentation et groupes d'achats communs.

Sustainable transition towards food sovereignty and climate justice
Tord Björk, écologiste et militant de longue date, et membre des Amis de la terre Suède, décida de faire un cercle afin que nous partagions nos expériences, après une courte introduction. Horreur: les tables étaient vissées au sol! Nous nous sommes donc assis sur les tables, bien décidés à ne pas nous laisser enfermer par la rigidité des lieux. Un point important marquait l'introduction de Tord: le rôle des paysans dans les grandes révolutions (soviétique, cubaine, sandiniste, zapatiste), raison pour laquelle il est convaincu que la réponse viendra d'eux, alors qu'un génocide planétaire est en cours envers eux. Il prit pour appuyer son propos l'exemple de la Somalie où, après avoir tout privatisé, nous avons pris leur nourriture (notamment par des pêches intensives) pour s'étonner après qu'ils virent dans la piraterie... Pour plus d'infos sur le sujet, je vous conseille de taper « Somalie Michel Collon » dans Google. Les échanges furent riches, et portant finalement quasi-exclusivement sur la souveraineté alimentaire, avec des initiatives multiples de Malmö en Suède (groupes d'achats, magasins bios, actions citoyennes), de France (expérience du réseau Longo Maï qui possède même une radio (radiozinzine.org), Confédération paysanne), de Turquie (cours de cuisine, coopératives, recherches politique et anthropologique),... Plusieurs français ne maîtrisaient pas l'anglais. Lorsqu'un traducteur partit, je fus promus traducteur simultané fr-ang/ang-fr. Une expérience que je n'oublierai pas de sitôt, tant l'effort de concentration fut intense. Tellement intense que je décidai à la fin de l'atelier d'en terminer là ma journée, non sans avoir parlé de groupe d'achat commun, de jeu de la ficelle et de mon projet de tour du « monde alternatif ».

Vendredi 2 juillet
Félicitations aux lecteurs qui sont toujours là, je sais c'est long mais c'est important! Avant de me rendre au second séminaire traitant de l'alimentation, l'après-midi, je décidai de me joindre à celui traitant des mythes néo-libéraux et patriarcaux dans l'éducation.

Mythes du néo-libéralisme et du patriarcat dans l'éducation
Organisé par des mouvements féministes, cet atelier me permit d'entendre les expériences de personnes venant d'un peu partout en Europe. J'appris notamment qu'en Turquie les professeurs sont obligés d'utiliser jusqu'aux outils choisis par le système d'éducation national. En général, tout le monde était d'ailleurs d'accord pour dire que la liberté de l'enseignant était de plus en plus réduite, les cadres et les objectifs fixés étant de plus en plus nombreux, et étant principalement axés sur la compétition. En ce qui concerne les images patriarcales véhiculées, les livres scolaires mettent toujours en avant des héros masculins, et les images patriarcales sont également entretenues par les femmes, à tous les niveaux. L'intervention que j'appréciai le plus fut celle de Marta, Italienne vivant en Belgique, qui expliqua comment les garçons n'étaient pas exempts de préjugés dans les écoles et pouvaient souffrir davantage que les filles de la situation. J'en profitai pour surenchérir et m'adresser aux féministes en disant que la lutte pour les droits des femmes était une lutte de la société dans son ensemble, et non uniquement une lutte des femmes, car l'homme voulant sortie de cette image est aussi en crise, et il n'y a pas de référence majeure dans ce domaine, contrairement au mouvement féministe qui a quelques dizaines d'années d'existence. J'ajoutai aussi qu'au-delà du rapport de genre, la question du rapport enseignant-élève était à questionner, l'enseignant ne disposant pas de la vérité absolue, et ne devant donc pas se placer en maître tout-puissant. L'exemple de l'école alternative « Pédagogie nomade » est encourageante dans ce sens. Je ne compris pas toujours tout, les langues de la session étant l'espagnol et le portugais, avec pour quelques personnes, une traduction simultanée en anglais et même en turc à partir de l'anglais! Un travail de traduction très impressionnant réalisé par des vraies professionnelles.

Sébastien parmi les femmes

Impacts de l'extension du modèle de l'agro-business européen à la Méditerranée
Rejoignant ensuite de nombreux protagonistes de la veille, je ne pus que déplorer le caractère très statique de ce séminaire (la traduction consécutive n'aidant pas), dont l'introduction courte de Marc Ollivier fut pour moi le plus fort moment. Les différents intervenants permirent de voir qu'au Maroc ou en Turquie, comme en France, les mêmes phénomènes se déroulent, à savoir, une destruction de l'agriculture paysanne, suite à la libéralisation du marché, et l'imposition de normes ridicules. Parallèlement à cette destruction de la paysannerie, les techniques utilisées détruisent l'environnement et la biodiversité, tout en fournissant des aliments de piètre qualité.


Les intervenants (dont Marc Ollivier au micro), les déclinaisons de Via Campesina et
Atatürk au mur

Jeu de la ficelle
Suite à un intérêt manifesté la veille, je décidai de faire une petite démonstration de ce qu'est le jeu de la ficelle, devant une délégation franco-turque très réceptive. Peut-être une version turque va-t-elle voir le jour...


Ah... le jeu de la ficelle, à droite Martina et Olcay, et en arrière plan...
Coca-Cola à mon grand désarroi.

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