Il y a des expériences qui marquent dans une vie. Mon séjour au sein de la communauté d'Ulenkrug en fait sans aucun doute partie. Sans connaître aucun membre de la coopérative au préalable, mes rencontres avec leurs amis m'avaient convaincu de leur rendre visite, en leur fief situé non loin du village de Stubbendorf, en ex-RDA. Arrivé par la route, à pied, j'ai pu apprécier le calme de l'endroit, presque boudé par les voitures, sous un ciel exempt des panaches blancs marquant le passage des turbomachines aériennes. En descendant le chemin menant à l'auberge des chouettes, traduction littérale d'Ulenkrug, on ne se doute pas du bouillonnement alternatif qui y trouve place, seules quelques roulottes et le vieux hangar agricole s'offrant alors à la vue du voyageur.
En approchant d'Ulenkrug
Je suis arrivé en début d'après-midi, juste après le repas, sans trop comprendre ce qui se passait autour de moi, alors qu'on m'invitait à me servir dans les restes encore chauds du repas communautaire. Petit-à-petit, avec patience et persévérance, j'ai appris à connaître les habitants de ce lieu peu commun, tâche rendue plus hardue par les nombreuses entrées et sorties de la communauté, particulièrement en cette fin d'été, mais aussi par la langue. Mais attention, si la langue principale est l'Allemand, presque tout le monde parle français, ce qui est dû à la forte concentration de coopératives de Longo Maï dans le Sud de la France. Et il n'est pas rare d'entendre des conversations dans cette langue à Ulenkrug, du fait de la présence de deux françaises au sein de la communauté. L'anglais est aussi utilisé lors de la visite d'hôtes étrangers et était d'ailleurs la langue commune que j'utilisais avec ceux qui ne maîtrisaient pas le Français. A moins que ce ne soit l'Espagnol, également pratiqué par plusieurs habitants, et renforcé par l'appartenance au réseau d'une coopérative costaricaine. Bref, un melting pot à majorité germanique, mais à dimension vraiment européenne.
Après quelques jours d'adaptation, je me suis habitué au rythme de la ferme et aux quelques règles de vie en communauté. Un aspect relativement dépaysant est la vie sans argent. Habitué à sentir mon portefeuille contre ma cuisse droite, le fait de le retrouver après trois semaines à cette place fut une étrange sensation. Vivre sans argent est bien agréable, et est d'ailleurs pour certains une des motivations principales pour le projet. Attention, il ne s'agit pas de vivre en autarcie: la gestion de l'argent pour les achats extérieurs est assurée par quelques personnes et le montage financier global du réseau se fait à Bâle, en Suisse, via quelques membres dévoués. A Ulenkrug, tout le monde travaille pour la communauté, sans hiérarchie établie, et l'ensemble de ce travail collectif crée la base de la vie du lieu. S'il n'y pas de responsable, comme ils aiment à le répéter, chacun se sent investi de sa tâche, et des spécialisations sont bien présentes, en fonction des affinités.
La base du travail est liée à la recherche d'une autonomie alimentaire à partir d'une agriculture écologique. C'est ainsi que plusieurs hectares sont consacrés à la culture des céréales, telles le blé, l'orge et l'épeautre, ainsi qu'aux lentilles. La plupart des céréales viennent compléter la base alimentaire des quelques cochons, de la dizaine de vaches, et des chevaux de trait et ânes. Un peu plus loin, dans les champs, une bonne centaine de moutons sont surveillés avec passion, et déplacés de pâturage en pâturage au gré de leur appétit. A proximité de la ferme gambadent des poules, des oies, et trois petits canards sympathiques, dont la nourriture espérée par tous est la limace. C'est pourquoi la maison des canards jouxte le potager entretenu avec amour quotidiennement par plusieurs jardiniers. Ils ne sont néanmoins pas les seuls à s'y courber: de nombreux volontaires se joignent à eux pour les récoltes laborieuses, telle celle des haricots.
A côté de l'alimentation, la communauté profite de l'été pour faire avancer différents projets. Ainsi, durant mon séjour, j'ai participé au « bouwstelle », à savoir la construction d'un plafond en terre-paille, ainsi qu'au remplacement d'un enclos pour les vaches. Un grand projet aussi à l'œuvre était la construction d'une nouvelle serre, pour le maraîchage.
Si tous ces travaux sont liés à la vie au sein de la ferme, un autre type d'activité jalonne l'existence de la communauté: l'activisme politique. Et il faut le voir pour le croire, tant cet aspect est maintenu vivace par les habitants. En trois semaines, j'aurai assisté à trois actions concrètes: la cuisine lors du camp antifasciste Ajuka auquel ont assisté tous les enfants de la ferme, le soutien lors d'une audience d'un sans-papier et la manifestation au pied de la patate OGM qui secoue l'Europe: la patate Amflora de BASF. Autant de sujets pour alimenter la réflexion, et qui permettent d'apercevoir la diversité des engagements, chacun ayant ses luttes favorites. Un sujet qui m'a particulièrement touché est la sauvegarde par la reproduction des semences, réalisée de façon forte à Ulenkrug, qui est très impliqué dans le domaine, via la culture de variétés anciennes, l'organisation de forums et de bourses d'échange de semences et d'une campagne internationale pour lutter contre le brevetage du vivant, via le Forum Civique Européen.
Jürgen et moi, arborant les T-shirts de faucheurs volontaires
Après trois semaines intenses, j'ai quitté Ulenkrug avec plus de questions que de réponses. Il est en effet bien difficile de comprendre la complexité de ce mouvement organique, qui est en soi un chantier d'expérimentation du vivre ensemble. Si le travail est pour la vie et non l'inverse à Ulenkrug, j'aurai quand même relativement beaucoup bossé au sein de la communauté, comme tous. Attention, toujours dans la bonne humeur et avec une valorisation collective, mais en tant que visiteur, et sans doute comme habitant aussi, il est bien difficile de sentir si on en a fait assez ou pas. A cheval entre vie communautaire, respect de la nature et activisme, chaque habitant tente de se réaliser à-travers l'expérience commune... qui dure depuis quinze ans...
Campagne « Semer l'avenir pour récolter la diversité »
La pétition sera remise aux instances européennes à Bruxelles lors de la journée d'actions du 17 avril 2011, où j'encourage tout le monde à se joindre au mouvement, en ce jour des paysans sans terre.